Je vais vous raconter une anecdote personnelle :
Il y a quelques temps, au cours d’une discussion, je voulais exprimer l’idée qu’il fallait avoir la finesse de distinguer parmi tous les signes qui nous parviennent ceux qui présentent un réel intérêt. Une parole de Sun Tzu m’est immédiatement venue à l’esprit : « Lorsque les arbres remuent en grand nombre, l’ennemi avance. » Pourtant, par crainte de ne pas être compris de mon auditoire, je me suis finalement rabattu sur « Il n’y a pas de fumée sans feu ». Mais l’idée n’était alors plus tout-à-fait celle que je souhaitais exprimer ; la citation de Sun Tzu aurait été à ce moment-là parfaitement appropriée.
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Sun Tzu peut-il être disséqué ?
Est-il acceptable de n’appliquer qu’une sélection des principes exposés dans L’art de la guerre ?
Nous pensons qu’une telle posture, si elle est bien sûr techniquement tout à fait réalisable et si elle correspond même à celle que l’on rencontre dans la quasi-totalité des situations, ne peut en revanche pas se revendiquer être une véritable application de l’enseignement de Sun Tzu.
De l’inapplicabilité de Sun Tzu
J’ai récemment publié sur la plateforme Alliance géostratégique un billet concluant que si l’enseignement de Sun Tzu était encore militairement d’actualité, il ne paraissait en revanche pas réellement applicable.
L’exemple de Tchang Kaï-chek[1], étudié par Laurent Long[2], me semble à ce sujet frappant.
Le « généralissime » était en effet très bon connaisseur de Sun Tzu. Il le citait facilement et le commentait fréquemment lorsqu’une une situation militaire lui était présentée ; il en donnait même des conférences à ses généraux[3]. Pourtant, lorsqu’il fut réellement en situation d’appliquer ses principes, il en prit quasiment chaque fois le contrepied ! La campagne militaire qui faillit sceller le sort du Parti communiste chinois fut d’ailleurs menée dans la plus pure tradition allemande, grâce aux moyens directs d’une concentration massive de puissance de feu et de fortifications…
Sans la Marine, tout devient possible !
A travers tout son traité, Sun Tzu ne parle que d’opérations terrestres. Il n’évoque à aucun moment le milieu maritime. Or des affrontements navals avaient déjà cours à son époque, même s’ils ne consistaient alors essentiellement qu’en des abordages d’embarcations adverses[1]. Sun Tzu ne connaissait-il pas cette forme de conflit ou a-t-il sciemment choisi de l’occulter ?
Le paradoxe du travail bien fait
L’art de la guerre fourmille de paradoxes. En voici un qui me laisse perplexe :
Le traité dont nous disposons aujourd’hui a été le fruit d’un long processus d’écriture et de retouches. Alors que Sun Tzu a formalisé sa pensée au cours du IVe siècle av. J.-C., le texte final du traité n’a été fixé que quinze siècles plus tard ! Entre temps, de nombreuses versions se sont développées, cherchant à affiner voire corriger la pensée du maître. Le texte final, fédérateur de toutes ces versions, n’est apparu qu’au XIe siècle[1]. Nous pourrions alors légitimement nous attendre à trouver un traité parfaitement poli jusque dans les moindres détails.