L’art de la guerre prône le combat de guérilla

L'essaim, une méthode de combat redoutable lorsque maîtrisée

L’essaim, une méthode de combat redoutable lorsque maîtrisée

Nous avons vu dans notre billet Sun Tzu est-il adapté aux conflits asymétriques ? que L’art de la guerre n’avait été composé que pour des conflits symétriques où les deux adversaires se combattaient à armes égales : les guerres « conventionnelles ». Pourtant, les préceptes de Sun Tzu paraissent véritablement prescrire le combat de guérilla.

Ces maximes, qui passent bien souvent inaperçues, nous semblent fondamentales dans le système suntzéen :

« C’est pourquoi une armée doit être preste comme le vent, majestueuse comme la forêt, dévorante comme la flamme, inébranlable comme la montagne ; insaisissable comme une ombre, elle frappe avec la soudaineté de la foudre. » (chapitre 7)

« Infiniment mystérieux, il occulte toute forme ; suprêmement divin, il ne laisse échapper aucun bruit : c’est ainsi que le parfait chef de guerre se rend maître du destin de l’adversaire. » (chapitre 6)

« Une formation militaire atteint au faîte ultime quand elle cesse d’avoir forme. Sitôt qu’une armée ne présente pas de forme visible, elle échappe à la surveillance des meilleurs espions et déjoue les calculs des généraux les plus sagaces. » (chapitre 6)

« La forme d’une armée est identique à l’eau. L’eau fuit le haut pour se précipiter vers le bas, une armée évite les points forts pour attaquer les points faibles ; l’eau forme son cours en épousant les accidents du terrain, une armée construit sa victoire en s’appuyant sur les mouvements de l’adversaire. Une armée n’a pas de dispositif rigide, pas plus que l’eau n’a de forme fixe. » (chapitre 6)

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Que faire face à la recherche de renseignement par l’ennemi ?

Aucune raison que l'adversaire ne nous espionne pas aussi

Aucune raison que l’adversaire ne nous espionne pas aussi…

De façon logique, l’adversaire cherche le renseignement sur notre compte. Si la première réaction serait de s’en prémunir par le contre-espionnage, Sun Tzu envisage également la possiblité de retourner cette agression à notre avantage. Pour ce faire, il convient d’user de désinformation :

« Proche semblez donc loin, loin semblez donc proche. Avide d’un avantage, appâtez-le. » (chapitre 1)

« On attire l’ennemi par la perspective d’un avantage, on l’écarte par la crainte d’un dommage. » (chapitre 6)

Le but recherché

Deux effets antagonistes peuvent être recherchés. Tout d’abord maintenir l’adversaire dans l’incertitude, ce qui l’empêchera, à moins de prendre un énorme risque, d’entreprendre une action efficace : moins l’ennemi connaîtra avec précision notre position, nos effectifs et nos intentions, et moins il sera à même d’avoir l’initiative de l’action. Il sera alors obligé d’agir dans le brouillard, en se rabattant sur une disposition à même d’englober tout le champ des possibles, manœuvre qui s’avèrera nécessairement peu efficace car ne pouvant répondre à aucun des principes de la guerre : concentration des efforts, économie des moyens, liberté d’action.

« S’il ne sait où je vais porter l’offensive, l’ennemi est obligé de se défendre sur tous les fronts. » (chapitre 6)

Le deuxième effet consiste à faire acquérir à l’ennemi une certitude erronée. Induit en erreur, il croira alors entreprendre en toute liberté une action que nous avons en fait prévue et souhaitée.

« On attire [l’ennemi] avec un appât, on le reçoit avec des armes. » (chapitre 5)

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Une culture chinoise de la ruse ?

Un classique chinois des ruses : Les 36 stratagèmes

Un classique chinois des ruses : Les 36 stratagèmes

La ruse et les stratagèmes sont particulièrement valorisés chez Sun Tzu (cf. notre précédent billet De la duperie), tout comme dans le reste de la littérature militaire chinoise qui abonde d’exemples de ruses permettant de remporter la victoire d’une manière indirecte sans avoir à combattre. Les opérations militaires réussies mais considérées comme coûteuses et aventuristes sont en revanche toujours condamnées.

En apôtre de la ruse, Sun Tzu tient donc une position radicalement opposée à celle de Clausewitz. Pour ce dernier, la ruse va obérer des forces qui pourront se révéler faire cruellement défaut au point décisif. Le stratège prussien conclut d’ailleurs que seuls les faibles ont recours à la ruse :

« Quel que soit notre penchant à voir les chefs de guerre se surpasser en astuces, en habilité et en feintes, il faut reconnaître que ces qualités se manifestent peu dans l’Histoire et se sont rarement fait jour parmi les masses des évènements et des circonstances. […] Ce qui, en guerre, ressemble [à la ruse] –ordres et plans factices, fausses nouvelles répandues à l’intention de l’ennemi, etc.­- est généralement si peu efficace dans le domaine de la stratégie qu’on ne peut y recourir qu’en certaines occasions isolées qui se présentent d’elles-mêmes. […] Le sérieux de l’amère nécessité rend l’action directe si urgente qu’elle ne laisse pas place au jeu. » (De la guerre, Livre III, chapitre 10)

Clausewitz n’envisage par exemple pas qu’une diversion puisse produire de véritables effets avec un nombre réduit de moyens. Au contraire :

« [La diversion] est fréquemment néfaste. […] Toute diversion apporte la guerre dans un secteur où elle n’aurait pas pénétré sans cela ; elle fera donc toujours lever quelques forces ennemies qui seraient restées inactives. » (De la guerre, Livre VII, chapitre 10)

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De la duperie

Probablement la ruse la plus célèbre du monde occidental

Probablement la ruse la plus célèbre du monde occidental

Après avoir vu ce qu’était la guerre et pourquoi on la faisait, intéressons-nous maintenant à la façon de la faire.

L’idée majeure qui parcourt l’ensemble du traité, et où tous les préceptes de Sun Tzu peuvent trouver leur source, est la suprématie de la duperie :

« La guerre repose sur le mensonge. » (chapitre 1)

A noter que cette idée, présentée dès le premier chapitre, se voit re-explicitée et complétée plus loin dans le traité:

« La guerre a le mensonge pour fondement et le profit pour ressort. » (chapitre 7)

Le cadre d’emploi de la duperie est très large, voire systématique, et ce tant sur le plan temporel (avant et pendant l’affrontement) qu’à tous les niveaux de la guerre : politico-diplomatiques, stratégique, tactiques, voire sub-tactiques (individu isolé ou équipe). Le fait que Sun Tzu traite de la duperie jusqu’au niveau diplomatique donne d’ailleurs à sa conception de la guerre une dimension qui embrasse bien plus que le seul aspect strictement militaire du choc de deux entités (voir à ce propos notre billet Sun Tzu vs Clausewitz, Des périmètres d’étude de la guerre différents). Continuer la lecture

Pourquoi fait-on la guerre ?

Une réflexion sur la guerre

Une réflexion sur la guerre

Nous venons de voir que Sun Tzu présentait en chapeau de son traité sa vision du phénomène guerrier :

« La guerre est la grande affaire des nations ; elle est le lieu où se décident la vie et la mort ; elle est la voie de la survie ou de la disparition. On ne saurait la traiter à la légère. » (chapitre 1)

Cette assertion n’est toutefois pas la seule à exposer une réflexion sur le fait guerrier. Il est en effet possible de trouver le véritable « pourquoi ? » de la guerre au beau milieu du traité.

Pourquoi fait-on la guerre, donc ? Pas pour se protéger, ni pour défendre des valeurs, ni même pour rétablir un équilibre rompu. Non. Sun Tzu est beaucoup plus pragmatique (et honnête ?) que cela : la raison de faire la guerre, c’est le profit !

« La guerre a le mensonge pour fondement et le profit pour ressort. » (chapitre 7)

Curieusement, on s’attendrait à trouver une affirmation d’une telle ampleur en tête du premier chapitre, à l’instar de celle que nous avons citée précédemment. L’arrivée tardive de cette vérité fondamentale est très probablement due à la composition chaotique de L’art de la guerre évoquée dans le billet De quand date le texte de L’art de la guerre que nous connaissons ? et, répétons-le, aux modes de pensée différents entre l’Asie et l’Occident : à quelques exceptions près, il n’y a pas de démonstration cartésienne et structurée dans L’art de la guerre. Seulement une succession de préceptes, bien souvent en désordre.

Le profit est donc, pour Sun Tzu, le but ultime de la guerre. Profit de l’Etat, bien que cela ne soit pas explicitement précisé, étant donné que Sun Tzu pense l’action du général par rapport aux conséquences sur l’Etat :

« Celui qui lance ses offensives sans rechercher les honneurs et bat en retraite sans craindre les châtiments, mais qui, attaché aux intérêts du Prince, a pour unique ambition la défense de ses peuples, peut être considéré comme le Trésor du Royaume. » (chapitre 10)

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