L’étude des « cinq facteurs de supériorité » (cf. notre précédent billet) s’étale sur toute la moitié du premier chapitre (le reste étant des idées sans rapport). Ces facteurs sont ceux que Sun Tzu considère comme les plus importants pour évaluer le rapport de forces entre deux protagonistes :
« La réponse à ces questions permet de déterminer à coup sûr le camp qui détient la victoire. »
Ces cinq facteurs sont très fréquemment repris dans les textes affirmant résumer la pensée de Sun Tzu. La raison en est probablement que le lecteur pressé s’attend à trouver dans le premier chapitre la substantifique moelle de L’art de la guerre. Or, nous l’avons vu dans notre billet De l’incompréhension classique de L’art de la guerre, ce n’est pas forcément le cas : le traité n’a pas été rédigé selon nos standards modernes, et une idée majeure peut très bien se dissimuler au détour d’un propos sans rapport. C’est ici le cas : ces cinq facteurs sont très loin de constituer le cœur de la pensée de Sun Tzu. Pour autant, ils sont une des pierres du traité. Nous allons donc ici nous attarder sur eux.
Le choix de ces cinq facteurs peut aujourd’hui paraître daté. Mais il présente l’intérêt d’être la première tentative pour identifier avec exactitude les critères qui permettent d’évaluer le rapport de forces en présence. Aujourd’hui encore, la quasi-totalité des méthodes de planification s’essayent à l’exercice, mais force est de constater qu’aucun système n’a atteint l’objectif : en dépit de toute la littérature stratégique contemporaine, les hommes continuent de s’engager dans des conflits dont les résultats ne sont pas toujours en leur faveur !
Observons que trois de ces cinq facteurs dépendent directement du général : la vertu (partant du principe que l’on parle de celle du général et non de celle du souverain), le commandement et l’organisation. Concernant le climat et la topographie, qui sont des facteurs extérieurs, la problématique du général est d’en prendre connaissance pour ne pas les subir, voire les exploiter à son avantage. Ainsi donc, les cinq facteurs énoncés concernent bien directement le général : soit dans ce qu’il est, soit dans ce qu’il doit savoir faire.
Il est à noter qu’à la fin du chapitre 2, Sun Tzu livre une autre série de cinq facteurs qui permettent de déterminer qui sera le vainqueur :
« Il existe cinq cas où l’on peut prévoir la victoire :
Qui sait quand il faut combattre et quand il faut s’en abstenir sera victorieux.
Qui sait commander aussi bien à un petit nombre qu’à un grand nombre d’hommes sera victorieux.
Celui qui sait harmoniser la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire.
Celui qui affronte un ennemi qui n’est pas préparé remportera la victoire.
Celui dont les officiers sont compétents et n’a pas à pâtir de l’ingérence du souverain remportera la victoire.
Voilà les cinq cas où la victoire est prévisible. »
Cinq cas, desquels nous déclinons cinq préceptes :
- Savoir quand il faut combattre : sentir la situation
- Savoir commander et harmoniser les volontés : être un chef
- Surprendre l’ennemi : agir avec surprise, être rapide et réactif
- Avoir des officiers compétents : savoir s’entourer et/ou disposer (ou mettre en place) une structure RH (recrutement/formation/promotion) efficace (ou avoir la chance d’hériter d’une bonne équipe)
- Avoir un souverain qui ne s’immisce pas dans la conduite de la guerre : avoir de la chance pour avoir un bon souverain (ou définir les règles avant d’accepter la charge de chef des armées)
Nous constatons bien qu’il s’agit ici de cinq thématiques différentes des cinq facteurs exposés dans le premier chapitre.
Au final, nul besoin, donc, de s’attarder outre mesure sur ces cinq facteurs de supériorité.
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