Connaissez-vous l’anecdote des concubines ?
Il s’agit d’une histoire légendaire mettant en scène Sun Tzu. Elle provient des Mémoires historiques de Sima Qian[1], ouvrage chinois majeur du Ier siècle av. J.-C. qui racontait sur 130 chapitres l’histoire de la Chine des temps mythiques jusqu’à l’empereur Wu des Han.
Le texte est donc très largement postérieur à l’écriture de L’art de la guerre. Il est en outre manifestement légendaire (les Mémoires historiques situent Sun Tzu au VIe av. J.-C. alors que l’on sait que le traité a été écrit deux siècles plus tard).
Mais cette anecdote est à peu près la seule histoire que l’on ait de Sun Tzu et, comme nous le verrons dans un prochain billet, elle présente un certain intérêt pour la compréhension de son traité.
La traduction présentée ici est celle de Wikimédia.
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Sun Tzu était un homme de l’Etat de Qi. Il montra son Art de la guerre au roi Helu de l’Etat de Wu.
Helu lui demanda : « J’ai lu avec attention tes treize chapitres. Peux-tu en appliquer les préceptes à des soldats ? »
Sun Tzu répondit : « Je le puis. »
Helu continua : « Et peux-tu en appliquer les préceptes à des femmes ? »
Sun Tzu répondit : « Je le puis. »
Helu fit donc venir du palais cent quatre-vingt femmes. Sun Tzu les divisa en deux armées, à la tête desquelles il plaça les deux concubines favorites du roi, puis ordonna que toutes se saisissent d’une lance.
Il demanda alors : « Savez-vous faire la différence entre votre cœur, votre main droite, votre main gauche et votre dos ? » et les femmes répondirent : « Nous le savons ! »
Sun Tzu annonça : « Lorsque je dirai “En avant”, vous vous tournerez dans la direction de votre cœur, lorsque je dirai “à gauche”, vous vous tournerez dans la direction de votre main gauche, lorsque je dirai “à droite”, vous vous tournerez dans la direction de votre main droite, lorsque je dirai “en arrière“, vous vous tournerez dans la direction de votre dos. » Les femmes répondirent : « Oui ! » Une fois ces ordres annoncés, il fit préparer les hallebardes et les haches et donna l’ordre de commencer l’exercice. Il fit battre le tambour et ordonna : « À droite ! » et les femmes explosèrent de rire.
Sun Tzu annonça : « Lorsque l’ordre n’est pas clair et n’est pas compris, c’est le général qui est en tort. » Il fit battre à nouveau le tambour et annonça : « À gauche ! » et les femmes explosèrent à nouveau de rire.
Cette fois, Sun Tzu annonça : « Lorsque l’ordre n’est pas clair et n’est pas compris, c’est le général qui est en tort, mais lorsqu’il est énoncé clairement et que les soldats n’obtempèrent pas, c’est leur commandant qui est en tort. » Il ordonna donc que les deux concubines qui dirigeaient les armées fussent exécutées. Le roi de Wu qui observait la scène du haut d’une terrasse vit ses favorites sur le point d’être décapitées et en fut abasourdi.
Il fit dépêcher en bas l’ordre suivant : « Général, j’ai pu constater ton talent à diriger tes soldats. Si je venais à perdre ces deux concubines, ma nourriture perdrait toute saveur. Ne les fais pas décapiter. » Sun Tzu répondit : « Une fois que le général a reçu ses ordres et se trouve sur le terrain, il ne peut accepter même les ordres de son souverain. » Il ordonna que l’exécution se poursuive, et nomma deux nouveaux commandants. Il fit ensuite battre à nouveau l’exercice, et cette fois les femmes tournèrent à droite, à gauche, en face, en arrière, se mettaient à genoux, se levaient, le tout avec précision, sans oser prononcer le moindre mot. Sun Tzu envoya un message pour annoncer au roi : « Les soldats sont prêts et disciplinés. Votre majesté peut les passer en revue dès qu’elle le souhaite. Si Votre majesté le désire, ils n’hésiteront pas à traverser eau et feu. Le roi de Wu répondit : « Général, fais arrêter l’exercice et rentre au campement ! Je n’ai pas le cœur à descendre pour passer en revue les troupes. » Sun Tzu déclara : « Votre majesté apprécie les belles paroles de ses vassaux, mais est incapable de les faire se réaliser. »
Sur ces mots, Helu s’aperçut que Sun Tzu savait réellement diriger une armée et le nomma général. À l’ouest, il défit l’Etat de Chu et pénétra la ville de Ying. Au nord, il domina les Etats de Qi et de Jin et sa célébrité se propagea à travers les seigneurs et Sun Tzu en eut une immense prestance.
[1] Mémoires historiques (ou Shiji), Chapitre 65, Biographie 8 « Sunzi et Wu Qi ».