Qui parle ?

Quel est la personne censée nous délivrer les secrets de l'art de la guerre ?

Quel est la personne censée nous délivrer les secrets de l’art de la guerre ?

Ce billet se donne pour objectif d’étudier la source de la formulation des préceptes de Sun Tzu : comment ces derniers sont-ils exprimés ? Sous la forme directe ou indirecte ? Nous allons voir que L’art de la guerre mélange allègrement les styles, sans grand souci de cohérence ni d’homogénéité.

Pour commencer, nous pouvons constater que chacun des treize chapitres commence par la phrase « Maître Sun a dit : ». Toutefois, il s’agit du seul endroit du traité où Sun Tzu se nomme directement, parlant de lui à la troisième personne.

A six endroits du traité, le « je » est employé pour annoncer un précepte, comme dans ces deux exemples :

« C’est pourquoi je dis : on peut connaître les moyens de la victoire sans nécessairement l’obtenir. » (chapitre 4)

« Si on me demande : « Que doit-on faire au cas où l’ennemi fond sur vous avec des troupes nombreuses et en bon ordre ? », je répondrai : « II suffit d’attaquer ce à quoi il tient, pour qu’il vous mange dans la main. » » (chapitre 11)

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Les personnages historiques de L’art de la guerre

Le personnage de Yi Yin, cité au chapitre 13

Le personnage de Yi Yin, cité au chapitre 13

Pour faire suite au billet Les personnages de L’art de la guerre, nous allons maintenant nous intéresser aux noms propres cités par Sun Tzu.

Les noms propres figurant dans L’art de la guerre sont tous employés comme antonomases[1] : ils ont valeur de noms communs, comme on dit « c’est un Hercule » sans que cela désigne le héros grec. Ainsi Yi Yin est-il le parangon des conseillers avisés ; il est mis en lieu et place d’ « habile stratèges» et de « sage conseiller » et n’a pas valeur de référence historique. De même Yue signifie simplement « pays éloigné » tout comme « Les gens de Yue et de Wou » symbolisent l’antagonisme le plus radical, les ennemis jurés. Pour comprendre ces images, toutes inconnues des Occidentaux, nous allons revenir sur chacun de ces noms propres.

« Les Yin durent leur triomphe à la présence de Yi Yin à la cour des Hsia, les Tcheou à celle de Liu Ya chez les Yin. » (chapitre 13)

Quelques explications s’imposent :

La dynastie des Yin (aussi appelée dynastie Shang) régna de 1600 à 1046 av. J.-C.. Elle succéda à celle des Hsia (ou Xia), qui régna de 2100 à 1600 av. J.-C.)[2], et précéda celle des Tcheou (ou Zhou), qui régna de 1046 à 256 av. J.-C.. Sachant que les dates varient beaucoup selon les sources… Un schéma valant mieux qu’une longue explication :

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Numérologie de L’art de la guerre

Que cachent les nombres contenus dans L'art de la guerre ?

Que cachent les nombres contenus dans L’art de la guerre ?

« A la guerre, le nombre n’est pas un facteur décisif. » L’art de la guerre, chapitre 9.

Certes. Nous allons néanmoins chercher ici à faire mentir Sun Tzu (ou du moins le détournement que nous avons bien voulu faire de sa maxime) en nous amusant à étudier la place des nombres dans L’art de la guerre.

La science est bien présente dans le vocabulaire de Sun Tzu :

« Le général […] qui ne connaît pas [les avantages offerts par les neuf retournements] aura beau posséder la science de la topographie, il lui sera impossible d’en tirer parti. » (chapitre 8)

« Qui, en ayant une science parfaite, recourt à la force des armes est assuré de remporter la victoire. » (chapitre 10)

Mais une autre forme de science est encore plus présente : le calcul, la science des nombres. Ce que le mot français « raison » évoque pour nous dans son sens premier (la ratio latine), où l’art de compter n’est pas distinct de celui de réfléchir. La conduite de la raison, indispensable pour celle de l’action, est en effet pour Sun Tzu un calcul au sens le plus strict. Il faut compter avant d’agir et en agissant.

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Les aptitudes dans L’art de la guerre

Quelles sont les qualités demandées par Sun Tzu ?

Quelles sont les qualités demandées par Sun Tzu ?

Comme pour les précédents billets, nous répétons que cet exercice d’étude lexicale est intimement lié à la traduction à laquelle nous nous référons, et que le choix de travailler sur une autre édition de L’art de la guerre aurait conduit à des résultats différents. Nous avions ainsi vu dans le billet Des qualités requises pour être général toute la diversité d’interprétation que pouvait amener la confrontation des différentes traductions. Toutefois, nous tâcherons encore une fois ici de ne pas nous attacher à ce qui relève d’un strict choix de traduction, mais de rechercher ce que l’on peut déduire de la fréquence d’utilisation des termes.

Le général de Sun Tzu sort du lot des autres généraux. Pour l’identifier, les qualificatifs de sa supériorité sont : « grand » (employé 10 fois), « habile » (6 fois), « bon » (4 fois), « avisé » (2 fois), « véritable » (1 fois) et « brillant » (1 fois). Les qualités qui lui sont demandées à travers tout le traité sont innombrables : la résolution, la puissance, la prestesse, la force, le courage, l’humanité, la vertu, la perspicacité, l’impartialité, la sévérité, la souplesse, la fermeté, la rigueur, l’impavidité, l’intelligence, la bonté, la subtilité et la discrétion !… Le général doit en outre revêtir un certain nombre de qualités difficilement palpables : « invincible », « infini », « inépuisable », « mystérieux », « divin », …

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La structure de l’armée dans L’art de la guerre

Planche extraite de L’art militaire des Chinois, du Père Amiot (1772)

Planche extraite de L’art militaire des Chinois, du Père Amiot (1772)

Pour faire suite au précédent billet, nous allons poursuivre notre étude lexicale de L’art de la guerre pour nous intéresser aux détails que donne Sun Tzu de l’armée.

Nous l’avons vu, l’armée est bien sûr commandée par le « général ». Il est à noter que celui-ci est également stratège. Sun Tzu n’évoque pas la possibilité de la décorrélation de ces deux fonctions : point de Zhuge Liang[1] dans L’art de la guerre !

L’armée qu’il commande est composée de « soldats », masse de combattants toujours évoqués en tant que collectif et jamais considérés dans leur individualité. Pour autant, Sun Tzu ne voit pas l’armée comme un ensemble homogène. Il y évoque par trois fois la hiérarchie, en parlant de « supérieurs » et d’ « inférieurs » (par exemple, au chapitre 3 : « Celui qui sait harmoniser la volonté des inférieurs et des supérieurs aura la victoire. »). Les « officiers » sont évoqués 9 fois. Si le terme de « capitaine » apparaît 8 fois, nous avons vu qu’il n’était employé que comme synonyme de « général ». « Lieutenant » en revanche, employé une fois, désigne bien l’officier.

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