Sun Tzu en Chine (1/3) – Les débuts de L’art de la guerre

De l'origine de L'art de la guerre

De l’origine de L’art de la guerre

Comme nous l’avons vu dans notre billet L’environnement philosophique au temps de Sun Tzu, L’art de la guerre a été composé durant un âge d’or de la pensée stratégique chinoise, aux Ve-IVe siècles av. J.-C. Au Ier siècle ap. J.-C., le Livre des Han[1] dénombrait ainsi plus de soixante-dix ouvrages consacrés à l’art de la guerre. Malheureusement, très peu nous sont parvenus. L’exemple le plus emblématique en est sans doute L’art de la guerre de Sun Bin, dont toute copie avait disparu depuis le début de l’ère chrétienne, à tel point que l’authenticité du texte a été mise en doute jusqu’à ce qu’un exemplaire (partiel) soit miraculeusement retrouvé en 1972 lors de fouilles archéologiques.

Il semble cependant bien que Sun Tzu ait été l’auteur le plus profond à avoir écrit durant cette période. Très tôt, la réputation de son Art de la guerre, ainsi que celle du Traité militaire de Wou Tseu (ayant beaucoup moins bien survécu à l’épreuve du temps), a dominé celle des autres ouvrages. Un siècle avant Jésus-Christ, Sima Qian, chroniqueur de la dynastie des Han antérieurs (-206 à -9) et principale source d’une biographie de Sun Tzu, écrivait dans ses Mémoires Historiques[2] : « Quand les gens parlent de stratégie militaire, tous mentionnent les treize chapitres de Sun Zi ainsi que le traité de Wu Qi ».

Le début très brillant de la pensée stratégique chinoise dans lequel s’inscrivit la réflexion de Sun Tzu tourna cependant court. Même L’art de la guerre de Sun Bin, qui lui a succédé et lui a manifestement emprunté, apparait inférieur en profondeur car trop ancré dans son époque. Contrastant d’une manière saisissante avec l’effervescence intellectuelle de la période des Royaumes combattants, la Chine impériale, après avoir fait le deuil de sa violence originelle, a connu, dès l’avènement de la dynastie des Han en 200 av J.-C., un déclin progressif de la réflexion stratégique. La pensée confucéenne qui a triomphé de ses rivales après l’unification de l’empire chinois, a sans doute dû beaucoup à cette sclérose de la pensée stratégique : fondé sur la vertu, ce courant de pensée disqualifiait la guerre, reléguée parmi les tâches inférieures. En outre, il vénérait les écrits anciens, poussant chaque réformateur à fonder ses actions sur un retour au passé.

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Mao a-t-il lu Sun Tzu ?

Pourquoi le Grand Timonier a-t-il nié avoir lu Sun Tzu ?

Pourquoi le Grand Timonier a-t-il nié avoir lu L’art de la guerre ?

La question peut surprendre : comment un chef d’Etat chinois, grand stratège de surcroît (ces écrits sur la guérilla sont fondateurs) pourrait ne pas avoir lu ce grand classique ? Le fait est que rien ne permet formellement d’établir que le Grand Timonier ait un jour lu L’art de la guerre. Outre que, curieusement, le stratège antique n’était pas au programme de ses études, littéraires, les biographes de Mao sont partagés sur sa lecture effective du traité. L’intéressé lui-même niera pendant la Révolution culturelle avoir lu ou même connaître Sun Tzu !

En ce qui me concerne, je n’ai jamais étudié dans des académies militaires, je n’ai jamais étudié les traités de stratégie. Il y a des gens qui prétendent que dans mes campagnes, je me suis basé sur Les Trois Royaumes et sur L’art de la guerre de Sunzi : et moi je vous dirai bien simplement que moi, Sunzi, je ne l’ai jamais lu. Mais pour ce qui est des Trois Royaumes, ça oui, je l’ai lu.[1]

L’affaire est donc loin d’être simple.

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Sun Tzu au XIXe siècle

Le tout premier ouvrage reparlant de Sun Tzu, en 1884

Nous l’avons vu dans notre billet Comment furent accueillis Les Treize articles ?, la sortie de l’Art militaire des Chinois fut soulignée par le milieu littéraire l’année de sa parution.

Ensuite, pendant un siècle, l’éclipse de Sun Tzu fut totale ! Ce n’est en effet qu’en 1884 qu’apparurent les premiers soubresauts du stratège chinois en France. Et encore ne s’agissait-il alors que d’un rappel de son existence…

Ainsi, jusqu’au XXe siècle, alors que les ouvrages sur la Chine – voire les militaires chinois – furent nombreux à être publiés[1], Sun Tzu en resta totalement absent (hors simple citation de l’existence de l’Art militaire des Chinois). La traduction de l’Histoire des trois royaumes par Théodore Pavie parue en 1845 citait bien à de nombreuses reprises le personnage de Sun-Tse, mais il s’agissait-là d’un homonyme[2]… (De même, Théodore Pavie reprendra ce personnage dans une nouvelle intitulée Yu-ki le magicien, parue en 1853 dans Scènes et récits des pays d’outre-mer).

Seuls deux ouvrages évoquèrent au final Les treize articles :

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Le père Amiot, encyclopédiste de la Chine

Le septième tome (sur 15) de l'encyclopédie du monde chinois du père Amiot, contenant Les treize articles

Le septième tome (sur 15) de l’encyclopédie du monde chinois du père Amiot, contenant Les treize articles

Nous avons rapidement brossé dans le précédent billet la vie du père Amiot, tout premier traducteur de L’art de la guerre hors du monde asiatique. Nous allons nous intéresser ici au colossal travail auquel se livra le jésuite pour faire connaître le monde chinois à la France.

Ce dernier était en effet un lettré et un scientifique, et possédait des connaissances importantes en histoire, littérature, mathématiques, physique et musique. Il a légué au monde un nombre important d’écrits et de correspondances sur des sujets très divers incluant par exemple, la médecine, la philosophie, les sciences astronomiques et les danses rituelles chinoises.

Mais il convient avant toute chose de comprendre que le père Amiot n’était pas un cas isolé : les hommes de science que la Compagnie de Jésus envoyait de France avaient en effet une double mission : prêcher l’Evangile, et concourir, par tous les moyens que pouvait fournir leur position spéciale, à enrichir les sciences et les arts de l’Europe. Nonobstant les incontestables facultés intellectuelles du père Amiot, ce dernier ne s’était donc livré à tous ces travaux, si étrangers à l’exercice strict de son ministère, que par souci de remplir son mandat.

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Qui était le père Amiot ?

La biographie la plus complète du père Amiot, parue en 1915

Joseph-Marie Amiot naquit le 8 février 1718 à Toulon. Fils d’un notaire royal, il effectua à l’issue de ses études classiques, trois ans de philosophie et un an de théologie. A l’âge de 19 ans, il entra au noviciat de la Compagnie de Jésus à Avignon et y resta deux années, se liant à Dieu en 1739. Il poursuivit alors sa formation au collège à Besançon (1739-1742), puis effectua ses humanités à Arles et à Aix (1742-1744). Il apprit ensuite la rhétorique à Nîmes (1744-1745) et la théologie à Dôle (1745-1749), où se développa sa passion pour l’Histoire, les langues et les arts. Ordonné prêtre à 31 ans à la fin de ses quatre années de théologie, il redevint novice pendant un an (1749-1750) à Salins.
Attiré par les peuples « d’au-delà des mers », il fut désigné pour servir en Chine. Le 22 août 1751, âgé de 32 ans, il rejoignait la mission française de Pékin[1]. Il y resta 42 ans, jusqu’à sa mort le 8 octobre 1793.

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