Sun Tzu prône-t-il la prise de risque ?

« Qui ose gagne » : La devise du 1er RPIMa

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Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Sun Tzu se montre très frileux quant à la prise de risque au cours des batailles. Certains de ses commandements pourraient même être perçus comme des injonctions à l’immobilisme :

« On ne poursuit pas une armée dont la retraite est simulée ; […] on ne gobe pas l’appât que l’adversaire vous tend. » (chapitre 7)

Un général qui voudrait appliquer scrupuleusement cette maxime de Sun Tzu pourrait rapidement se retrouver totalement paralysé, redoutant toujours une ruse de l’adversaire. Jamais en effet il ne possèdera tout le renseignement lui permettant à coup sûr d’évaluer la position, la force et les intentions de l’adversaire. Ou alors quand il les aura, il sera trop tard…

Nous observons de même que le courage et l’audace ne semblent pas faire partie des qualités nécessaires au général :

« Le commandement dépend de la perspicacité, de l’impartialité, de l’humanité, de la résolution et de la sévérité du général. » (chapitre 1)

A un seul endroit de son traité, Sun Tzu évoque la prise de risque :

« Un général avisé prend toujours en compte, dans ses supputations, tant les avantages que les inconvénients d’une option. Il voit les profits et peut tenter des entreprises ; il ne néglige pas les risques et évite les désagréments. » (chapitre 8)

Mais dans ce passage, unique, on ne peut pas vraiment lire que Sun Tzu invite à la témérité…

En fait, à travers tout le traité, c’est la raison qui semble prévaloir. Sun Tzu porte en effet aux nues le calcul et la planification, peut-être de façon excessive, et pense qu’il est toujours possible d’être suffisamment bien renseigné pour pouvoir prendre les décisions judicieuses (pour peu que l’on dispose du génie militaire permettant de faire les liens entre les faisceaux d’informations recueillis).

Nous sommes donc ici à l’opposé de Clausewitz, pour qui le brouillard de la guerre est permanent, et chez qui le général ne peut que prendre des décisions dans l’incertitude de leur réussite future. Pourtant, Sun Tzu ne perçoit pas la guerre comme totalement dépourvue de hasard et d’incertitude. Le risque existe bien :

« Tout engagement présente des avantages comme des risques. » (chapitre 7)

« La tâche du général se borne à rassembler ses troupes pour les jeter au cœur du danger. » (chapitre 11)

« Si l’on veut s’emparer de la victoire, il faut la cueillir au milieu du danger. » (chapitre 11)

On peut toutefois se demander si Sun Tzu ne parle ici pas que du seul danger de se faire tuer que courent les individus (il y aura des morts, mais on ne peut savoir lesquels ; le général lui-même est exposé à une flèche perdue ou précise). Tel que présenté à travers tout le traité, le résultat d’une bataille ou d’une guerre relève plus de la mécanique (dont la tâche du général est d’arriver à comprendre les rouages et d’évaluer au mieux les facteurs entrant en ligne de compte) que du hasard.

En définitive, Sun Tzu observe que l’activité guerrière présente de réels risques. Pour autant, il semblerait qu’il cherche à minimiser ces derniers. Alors, L’art de la guerre rejette-t-il l’adage « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ?

Oui et non ! Examinons en effet le passage suivant :

« Autrefois, on considérait comme habiles ceux qui savaient vaincre sans péril ; ils ne bénéficiaient ni de la réputation des sages ni de la gloire des preux ; avec eux, pas de combats douteux ; l’issue n’était pas douteuse, en ce que, quelle que fût la stratégie employée, ils étaient nécessairement victorieux car ils triomphaient d’un adversaire déjà à terre. » (chapitre 4)

Nous déduisons que, dans les temps anciens (i.e. dans l’idéal), ceux qui étaient couverts de gloire étaient les preux. Pour autant, ce n’est pas ce qu’il faut rechercher ! Les vrais personnages dignes d’être glorifiés, les « habiles », devraient donc plutôt être ceux qui vainquent sans péril, ayant tout mis en œuvre pour que la victoire soit certaine.

Ces préceptes pourraient être vus comme dangereux, si le général en venait à être inactif, redoutant toujours une ruse de l’adversaire et ne prenant plus aucun risque. Or, bien que Sun Tzu soit un fervent apôtre du calcul avant tout combat, il n’en considère pas moins qu’une des qualités nécessaire au général est le courage, et par extrapolation la prise de risque. L’art de la guerre est donc passablement ambigu sur ce point.

Nous avons ainsi là un trait particulièrement surprenant du système développé par Sun Tzu, rarement exprimé par les stratèges ultérieurs. Pourtant, il est en parfait accord avec la pratique actuelle. En effet, si la prise de risque des héros du passé est aujourd’hui vantée (surtout lorsqu’elle a réussi…), force est de constater que cette valeur est paradoxalement combattue : qui dit prise de risque sous-entend mise au ban en cas d’échec. D’où un alourdissement de la planification, supprimant toute initiative des subordonnés de peur qu’une trop grande liberté conduise à des morts ! Verra-t-on encore un ordre d’opération comme celui de la 2e DB de Leclerc pour la libération de Paris, qui tenait sur une simple page ?… Cette absence de prise de risque ne prémunit absolument pas de l’échec, mais de la punition ! (« Nous avions tout calculé selon les abaques et appliqué la méthode de raisonnement à la lettre : nous n’avons donc commis aucune faute professionnelle… »)

Du principe de précaution dans les armées, prophétisé il y a 2500 par Sun Tzu…

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Une réflexion sur « Sun Tzu prône-t-il la prise de risque ? »

  1. Ce n’est pas ambigu, il dit juste que la prise de risque est nécessaire dans la guerre et le combat. Mais s’il existe le moyen de gagner de manière certaine guerres ou combats, écarter cette possibilité au nom de l’honneur est une faiblesse. L’honneur et la gloire ne doivent pas être recherchées. Seule la victoire compte, car être vaincu n’apporte pas la gloire mais la honte d’autant plus.

    Exemple : aux échecs, si l’adversaire se trompe et vous laisse la possibilité de gagner par échec et mat ou me donne l’occasion de lui prendre sa reine je sais pas pour vous mais moi je ne laisse pas passer une de ces occasions. Et si vous me dites que vous seriez fair-play, ce ne serais juste parce que la situation vous le permet : seriez vous toujours fair-play si un million d’euros était en jeu, ou plus motivant votre vie ?

    Pour conclure je vais répondre à la question posée :
    L’art de la guerre rejette-t-il l’adage « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ?
    Et bien non : il le dit lui même « ils ne bénéficiaient ni de la réputation des sages ni de la gloire des preux ».

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