Le combat tournoyant, une invention de Sun Tzu ?

Il y a 2500 ans, Sun Tzu prônait-il le swarming ?...

Il y a 2500 ans, Sun Tzu prônait-il le swarming ?…

Si certains préceptes de Sun Tzu relèvent aujourd’hui du lieu commun (« Examinez les plans de l’ennemi pour en connaître les mérites et démérites », chapitre 6), d’autres en revanche sont plus inattendus. Il en est ainsi de celui concernant la recherche de la confusion :

« Quel indescriptible tohu-bohu ! Comme le combat est confus ! et cependant rien ne peut semer le désordre dans leurs rangs. Quel chaos ! quel méli-mélo ! ils sont repliés sur eux-mêmes comme une boule, et pourtant nul ne peut venir à bout de leur disposition. Le désordre suppose l’ordre […] » (chapitre 5)

Cette confusion dans la bataille dont parle Sun Tzu n’est absolument pas due au brouillard de la guerre décrit par Clausewitz. Il s’agit ici au contraire d’une confusion maîtrisée, dont la notion récemment formalisée de « combat tournoyant » (ou « en essaim » ou « swarming »)[1] pourrait être une expression. A l’inverse d’un combat en dentelles, géométrique, ordonné tel un jardin à la Le Nôtre, Sun Tzu paraît en effet prôner la recherche d’un engagement basé sur la grande autonomie des toutes petites unités, voire de l’individu.

Cette interprétation semble cependant anachronique : si certaines armées ont su par le passé mettre en œuvre la notion de combat tournoyant[2], il paraît en revanche surprenant que Sun Tzu puisse recommander un tel procédé à son époque. Cette idée semble en outre entrer en contradiction avec l’image relativement frustre qu’il peut par ailleurs donner des hommes :

« Il occupe [la multitude de ses armées] avec des tâches et ne s’embarrasse pas de lui en expliquant le pourquoi ; il l’excite par la perspective de profits en se gardant bien de la prévenir des risques. » (chapitre 11)

En effet, ce type particulier de combat, pour efficace qu’il soit, implique une très grande autonomie des tous petits échelons, voire des individus eux-mêmes. Or, Sun Tzu semble considérer la troupe inapte à comprendre la manœuvre d’ensemble, leur expliquer pouvant même s’avérer dangereux :

« Il incombe [au général] d’obstruer les yeux et les oreilles de ses hommes pour les tenir dans l’ignorance. » (chapitre 11)

Comme nous l’avons toutefois vu dans le billet Faut-il tenir ses troupes dans l’ignorance ?, l’incapacité à comprendre la manœuvre n’est pas forcément la raison de cette injonction. L’objectif est triple : se prémunir d’une fuite qui viendrait de ses troupes, asseoir son commandement et ne pas alourdir inutilement le processus de transmissions des ordres.

De façon relativement moderne pour son époque, Sun Tzu ne voyait pas l’armée comme un bloc unique :

« Si l’on commande à l’ensemble de l’armée de faire mouvement afin de disputer un avantage, elle risque fort d’arriver trop tard. » (chapitre 7)

Néanmoins, le niveau d’autonomie requis par le combat tournoyant paraît extrême et trop précurseur. Cette notion semble ainsi définitivement trop en avance sur son temps pour être plausible. En outre, si ce type de combat devait réellement être celui auquel songeait Sun Tzu, il est très étrange qu’il ne soit pas plus explicité ou repris dans L’art de la guerre, alors qu’il présentait un aspect véritablement révolutionnaire pour l’époque.

Alors, qu’a donc voulu dire Sun Tzu à travers ce passage ?

Peut-être tout simplement que lorsque la bataille s’en trouve à la phase d’entremêlement des armées, le bon général est celui capable de conserver le commandement sur ses troupes et voir ses ordres en cours d’action toujours exécutés…


[1] Ce mode opératoire repose essentiellement sur trois principes : recherche permanente de l’effet de surprise, décentralisation extrême du combat, inventivité permanente au gré des circonstances.

[2] On peut faire remonter ce style de combat aux Boers luttant contre les Britanniques (1899-1902). Les Finlandais s’en sont également servis pour stopper l’offensive soviétique durant l’hiver 1939-1940. Plus récemment, ce procédé a pu être utilisé par les Tchétchènes lors de la bataille de Grozny (1995), les Israéliens lors l’opération « Rempart » dans Naplouse (2002), ou même les Américains lors de l’opération « Phantom fury » en Iraq (2004).

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