Comment furent accueillis Les Treize articles ?

Les treize articles

Si la traduction du père Amiot publiée en 1772 fut bien signalée par la presse de l’époque, elle ne fut cependant pas réellement critiquée. Pourquoi ?

Comme nous l’avons précédemment évoqué, la toute première traduction française de L’art de la guerre date de 1772. Elle était l’œuvre du père Amiot, jésuite français missionnaire en Chine. Le texte, alors intitulé Les treize articles sur l’art militaire, faisait partie d’un recueil comprenant plusieurs autres traités : l’Art militaire des Chinois. Ce recueil fut réédité tel quel en 1782 sous la forme du septième tome des Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts, les mœurs, les usages, etc. des Chinois par les missionnaires de Pé-kin.

La parution de l’ouvrage du père Amiot en 1772 fut abondamment signalée par la presse littéraire. En 1772 (il n’y eut rien les années d’après), le nom de Sun-tse fut ainsi évoqué dans :

Ce fut beaucoup moins le cas avec la réédition de 1782, pour laquelle nous n’avons trouvé qu’un seul signalement dans le Journal de littérature, des sciences et des arts. L’ouvrage était alors une réédition et, on l’a dit, le traité de Sun Tzu se trouvait dès lors n’être qu’une goutte d’eau dans la masse des 15 tomes des Mémoires.

Les commentaires publiés dans les revues littéraires en 1772 n’étaient pas des critiques au sens où nous l’entendrions aujourd’hui : il s’agissait bien plus de paraphrases, voire de recopies pure et simple, de la traduction du père Amiot. Aucun débat n’anima donc la communauté intellectuelle autour de cet ouvrage.

Pour expliquer cela, il convient de rappeler (nous avions traité ce point dans le billet Qui était le père Amiot ?) que l’intérêt de la France pour la Chine avait pratiquement disparu en cette seconde moitié de XVIIIe siècle : lorsque le père Amiot publia sa traduction, l’attrait pour la Chine s’était alors éclipsé face à celui des Hurons[1] et bientôt des Incas de Marmontel[2].

Enfin, concernant spécifiquement le traité de Sun Tzu, rappelons qu’il n’était pas présenté en tant qu’ouvrage indépendant mais était noyé parmi beaucoup d’autres textes au sein de l’Art militaire des Chinois. Personne, à commencer par le père Amiot, ne sembla donc avoir alors perçu la valeur supérieure de ce texte.


[1] En 1767, Voltaire faisait paraître L’ingénu, qui racontait l’histoire d’un Huron arrivant en France.

[2] En 1778, Jean-François Marmontel fit paraître son roman Les Incas.

Source de l’image : photo de l’auteur

2 réflexions sur « Comment furent accueillis Les Treize articles ? »

  1. Ou bien est ce que la valeur de ce texte ne vient-elle pas a posteriori de la puissance réelle ou potentielle attribuée à la Chine, depuis que quelqu’un a insinué qu’elle allait se réveiller ? D’autant plus que l’aimable Mao s’en est réclamé, me semble-t-il.
    De la même façon que Clausewitz tire une partie de son prestige des prouesses de l’armée allemande…

    • Bonjour,
      L’interrogation est parfaitement légitime.
      J’avoue ne pas avoir moi-même de réponse bien assurée à ce sujet. Mais votre hypothèse n’a rien d’incongru et paraît parfaitement recevable.

      Une autre piste est celle évoquée par Martin Motte dans son article sur Sun Tzu paru dans les Cahiers du CESAT d’octobre 2011, où il y voit l’arrivée d’une opposition au jusqu’au-boutisme clausewitzien : « […] Sous l’influence perverse de Clausewitz [l’Occident] s’est condamné à une ascension aux extrêmes débouchant sur les abominations des deux guerres mondiales. D’où, selon Liddell Hart, l’utilité de Sun Tzu en tant qu’antidote au poison clausewitzien. On ne saurait trop louer le stratégiste britannique d’avoir remis son vieil homologue chinois au goût du jour. »

      Pour finir, juste une petite anecdote concernant l’annonce du réveil de la Chine :
      Napoléon aurait déclaré « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Mes propres recherches m’ont amené à douter de cette l’authenticité de cette citation. En effet, cette phrase ne figure dans aucun des écrits de l’Empereur (Cf. Napoléon – De la guerre de Bruno Colson). Elle provient à l’origine d’Alain Peyrefitte qui en avait fait le titre d’un de ses plus célèbres ouvrages. A l’intérieur de celui-ci, il était précisé que Lénine aurait « repris ce pronostic à son compte dans son dernier texte, dicté le 2 mars 1923 : Moins nombreux mais meilleurs ». En réalité, cette phrase ne figure pas dans cet article, ni de toute façon dans aucun autre écrit de Lénine (Cf. le site http://www.marxists.org/archive/lenin/works qui contient qui l’intégralité des écrits de Lénine).
      Voilà pour l’anecdote…

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