Décryptage stratégique de la pensée de Sun Tzu

Un excellent ouvrage en français

Jérôme Gabriel tient depuis 2018 un blog consacré à Sun Tzu, hébergé par le quotidien suisse Le temps : Sun Tzu parle aux dirigeants stratèges. Il nous propose ici un ouvrage en deux parties :

La première est constituée de sa version française du traité de Sun Tzu, conçue à partir de différentes traductions françaises et anglaises de L’Art de la guerre. Il nous est difficile de nous positionner sur cet exercice[1]. Étant une adaptation libre, non assujettie au respect rigoureux du texte chinois, la version de L’Art de la guerre ainsi produite gagne de facto en clarté par rapport à une véritable traduction, mais perd inévitablement en fidélité par rapport au texte initial. Dans le cas de L’Art de la guerre, qui est à la base un texte peu clair, ce choix peut paraître légitime, mais le résultat produit ne peut, en toute rigueur intellectuelle, être qualifié de traduction.

Entendons-nous bien : le texte proposé par Jérôme Gabriel respecte le traité de Sun Tzu. S’il supprime ou reformule certains passages, c’est en s’appuyant sur l’interprétation d’exégètes qui estiment que ces passages pourraient relever d’un commentaire ajouté tardivement dans le texte, ou pour tenter de donner du sens à un propos nébuleux. L’intention est bien d’être fidèle à la pensée de Sun Tzu et, vu du lecteur, le texte proposé est au final la version de L’Art de la guerre probablement la plus accessible de toutes celles qui existent.

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Relire Sun Tzu

Notre commentaire de L’Art de la guerre

Qui n’a jamais remarqué l’un des ouvrages appliquant Sun Tzu aux disciplines les plus inattendues ? Sans parler des adaptations au monde de l’entreprise ? Pourtant, il n’existe aucun ouvrage français étudiant L’Art de la guerre d’un point de vue strictement militaire ! Quelques livres ont bien été écrits en langue anglaise sur le sujet, mais ils se comptent sur les doigts d’une main. Cette situation est relativement paradoxale, d’autant plus si l’on considère que depuis les années 1970, période où Sun Tzu a réellement été découvert en France, le De la guerre de Clausewitz a, lui, fait l’objet de plus de 150 parutions françaises.

C’est donc face à ce terrain relativement vierge que le désir nous est venu de construire notre propre étude de cet incontournable classique de la littérature militaire qu’est L’Art de la guerre. S’agissant de la première en France – hors articles de spécialistes tels Jean Lévi ou Valérie Niquet – elle se donne pour humble objectif de défricher le terrain afin de permettre à tous ceux qui en constateront les faiblesses et les insuffisances de les dépasser.

La lecture propose une reformulation contemporaine des principes de Sun Tzu, à l’aune du vocabulaire moderne de la pensée militaire, vocabulaire qui s’est enrichi et affiné au fil des penseurs. À titre d’exemple, la notion de friction, introduite au XIXe siècle par Clausewitz et qui fait aujourd’hui partie du référentiel mental commun des militaires, n’était bien évidemment pas verbalisée par ce strict mot par Sun Tzu ; mais l’idée portée était bien prise en compte, et le stratège chinois livrait des conseils pour la gérer.

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Dernières nouvelles du front

Masque COVID SunTzu

La COVID aura même touché Sun Tzu…

Si le fil Twitter Sun Tzu dit a inlassablement poursuivi sa progression, atteignant désormais les 8500 abonnés, vous avez bien évidemment constaté que ce blog était ces derniers temps plongé dans une période de léthargie. La contrainte (que nous nous étions nous-mêmes fixée) des publications régulières présentait le formidable avantage d’aiguillonner nos recherches et notre production, en nous obligeant à publier un billet tous les six jours. Mais elle avait comme effet indésirable de ne pas nous laisser le temps de remettre en forme ce travail pour en présenter une publication officielle et affinée. Nous avions donc fait le choix de mettre en sommeil le blog, afin de dégager le temps de nous atteler à cette tâche de publication. Hélas ! C’était sans compter sur notre changement d’emploi, plus exigeant encore que le précédent, et la COVID-19 : la crise sanitaire, théoriquement propice aux travaux à domicile, a paradoxalement détourné les esprits de ces travaux. L’ouvrage, achevé depuis un an, était en relecture et cette ultime période s’est dilatée de façon inattendue. Aujourd’hui cependant, Relire Sun Tzu est enfin publié. Nous y reviendrons dans notre prochain billet.

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De la guerre éclair

Un concept ancien

Le sujet peut sembler évident puisqu’il fait l’objet des premières lignes de L’Art de la guerre, mais nous ne l’avions jamais traité en tant que tel : Sun Tzu enjoint on ne peut plus clairement de ne viser que des guerres éclair :

« Quand les opérations traînent en longueur sans apporter de victoire décisive, les armes s’émoussent, les troupes perdent leur mordant ; les soldats usent leurs nerfs dans les sièges. Des armées trop longtemps en campagne ruinent l’économie d’un pays.

Voyant vos armes émoussées, vos troupes sans mordant, vos hommes sans ressort, votre économie ruinée, les principautés rivales sauteront sur l’occasion pour vous attaquer en état d’infériorité. Et aussi avisés que soient les dirigeants, il leur sera impossible de préserver leurs arrières.

S’il y eut des campagnes qui ont péché par précipitation, que l’on m’en cite une seule qui, habilement conduite, s’éternisa. Jamais il n’est arrivé qu’un pays ait pu tirer profit d’une guerre prolongée. 

[…] Voilà pourquoi une armée doit viser la victoire immédiate et non une guerre d’usure. » (chapitre 1)

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Le pillage, un procédé toujours pertinent

Scène de pillage en Syrie

Incontestablement, Sun Tzu préconise le pillage :

« Pillez en terrain de diligence. » (chapitre 11)

Nous pourrions penser, ex abrupto, que ce procédé est barbare et caduc. Certains exégètes historiques n’ont d’ailleurs pas manqué de contester ce précepte de Sun Tzu[1]. Pour autant, une simple étude des conflits contemporains nous montre qu’il est toujours bien appliqué dans nombre d’endroits du monde, que cela soit le fait de guérillas, d’insurrections ou de conflits plus symétriques. Nous verrons même qu’au sein des armées occidentales modernes, le concept de pillage peut toujours s’avérer d’actualité.

L’Art de la guerre expose deux raisons rendant nécessaire le recours au pillage : assurer sa logistique, et motiver ses hommes par l’autorisation de dépouiller l’adversaire.

Étudions d’abord la première justification :

« Qui est habile à conduire les armées ne procède jamais à deux levées consécutives ni n’a besoin de trois réquisitions de grains. Ses ressources propres lui suffisent et il puise ses vivres chez l’ennemi. C’est ainsi qu’il assure la subsistance de ses troupes. » (chapitre 2)

« On pourvoit aux besoins en nourriture des troupes en pillant les campagnes fertiles. » (chapitre 11)

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