A la recherche du 5e critère

Lecteurs, votre aide est requise !

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Dans le billet Les raisons du succès de Sun Tzu, nous avions identifié quatre facteurs susceptibles d’expliquer pourquoi L’art de la guerre était aujourd’hui si populaire dans le monde civil : l’ancienneté, la brièveté, la superficialité et le thème de la conflictualité. Ainsi :

  • Le manuel de tactique de l’armée de Terre[1] est bref, militaire, et foisonne d’injonctions concrètes, mais peut difficilement se prévaloir de son ancienneté…
  • L’Arthashâstra de Kautilya est un texte ancien, traitant essentiellement de la conflictualité sous l’angle militaire, mais aussi politique, administrative et économique, composé de formules claires, mais extrêmement long : 500 pages réparties sur 15 livres.
  • Le Prince de Machiavel peut également être considéré comme bref, ancien et traitant de la guerre, mais ne se présente pas comme une succession d’injonctions claires et épurées.
  • Le Tao Tö King de Lao Tseu est concis, intelligible et ancien, mais n’a pas pour sujet central le conflit (bien qu’il en traite à plusieurs reprises).

Ces quatre facteurs nous paraissent donc raisonnablement concourir au succès de L’art de la guerre. Toutefois, force est de reconnaitre qu’ils ne sont pas encore suffisants : des traités comme ceux de Wou Tseu[2] ou de Sun Bin[3] répondent bien à tous les critères, mais demeurent relativement inconnus du grand public. Il reste donc au moins une caractéristique à identifier.

Se pourrait-il que ces traités soient trop accrochés à leur époque et pas suffisamment intemporels ? Possible. Cependant, L’art de la guerre regorge lui aussi de préceptes caducs, mais leur dépassement ne semble guère poser de problèmes. Le critère n’est donc pas valable.

Autre hypothèse : si le critère d’ancienneté concernait la date de rédaction, l’ancienneté de diffusion à l’Occident constitue bien un facteur distinct. Alors que le traité de Sun Tzu est véritablement connu depuis les années 60, celui de Sun Bin n’est en effet apparu que dans les années 90[4]. Cet argument s’effondre toutefois face au Traité militaire de Wou Tseu, qui était livré en annexe de la traduction de Samuel Griffith. Et force est de constater qu’il n’est aujourd’hui connu que des spécialistes.

De toute façon, les chinois eux-mêmes considèrent que, parmi les sept classiques de l’art militaire, celui de Sun Tzu est incontestablement le plus intéressant. Nous avançons donc l’hypothèse que le 5e critère concerne le fond.

Le problème de cet argument du fond, que nous pourrions appeler « justesse du propos », est qu’il revient à dire : « le livre est bon » ! La dénomination précise du facteur nécessite donc d’être encore cernée, dépurée, affinée… bref travaillée !

Ce critère de fond, bien qu’il semble s’imposer, parait d’autant plus surprenant que L’art de la guerre est loin d’être parfait à l’aune de nos critères actuels, comme peut l’être le manuel de tactique de l’armée de Terre : il comprend de longs passages totalement inutiles aujourd’hui, et même les injonctions apparemment datées, qui ne présentent plus aucun intérêt pour le militaire, peuvent s’avérer sources d’inspiration pour des transpositions civiles.

Le succès de L’art de la guerre repose probablement sur une alchimie. Mais nous butons sur l’identification du dernier (ou des derniers) ingrédients. Il y a manifestement une qualité intrinsèque au texte que nous ne parvenons pour l’heure pas à isoler.

Ce cinquième critère ne sera sans doute pas autoporteur : les écrits de Machiavel ou Clausewitz sont excellents, mais n’ont pas connu le succès de celui de Sun Tzu auprès de la société civile. Dans leur cas, le facteur relatif à la superficialité du propos est vraisemblablement celui qui fait la différence (sans bien sûr oublier celui de brièveté pour Clausewitz).

APPEL AUX LECTEURS : Toute suggestion qui nous permettrait de progresser dans cette quête de la pierre philosophale est vivement recherchée !


[1] Armée de Terre, Tactique générale, éditions Economica, 2008 (2e edition 2014).

[2] Wu Ch’i, Note sur Wu Ch’i, in Sun Tzu, L’art de la guerre, traduction anglaise de Samuel Griffith, française de Francis Wang, éditions Flammarion, 1972 (réédition 2008).

Wou-tseu, Le traité militaire de Maître Wou, in Les sept traités de la guerre, traduction de Jean Lévi, éditions hachette, 2008.

[3] Sun Bin, Le traité militaire, traduction de Valérie Niquet, éditions économica, 1996.

Sunzi et Sun Bin, L’art de la guerre, traduction de Tang Jialong, éditions Rivage, 2004 (réédition en 2010 aux Editions en Langues étrangères).

Sun Bin, L’art de la guerre selon Sun Bin, traduction de Luo Shenyi, éditions You Feng, 2011.

[4] Le traité de Sun Bin n’a qu’une vingtaine d’années d’ancienneté en Occident, contre une cinquantaine pour celui de Sun Tzu. Le tout premier manuscrit de Sun Bin n’a en effet été découvert qu’en 1972 à l’occasion de fouilles archéologiques, rendu public en Chine en 1975, et traduit quasi-simultanément en 1996 en anglais (D.C Lau et Roger T. Ames) et en français (Valérie Niquet).

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2 réflexions sur « A la recherche du 5e critère »

  1. Tiré de wikipedia: « Sous l’influence du Taoïsme et du Yi Jing (le Livre des Changements) l’Art de la guerre énonce que l’harmonie entre ces cinq éléments est une condition préalable au succès d’une campagne. » Et si le 5ème élément était le Yi-Jing?

    Je re-cite l’introduction du centre Djohi (http://www.djohi.org/) ou officie Cyrille D; Javary qui a participé à la retraduction du livre (aux éditions Albin Michel): » Le « Yi Jing », grand livre du yin et du yang (autrefois orthographié Yi King) tient dans la civilisation chinoise une place comparable à celle du « Discours de la Méthode » dans la pensée occidentale. Il a servi de fondement conceptuel, de vocabulaire et de référence à la quasi totalité de ce qui s’est pensé sur les rives du Fleuve Jaune.

    Longtemps perçu comme un ouvrage divinatoire, il retrouve maintenant la place qu’il avait dans la Chine classique, celle d’un « plan du monde » sous une forme abstraite et dynamique doublé d’un manuel pratique d’aide à la prise de décision dont la connaissance était exigée de tout candidat à un poste mandarinal. »

    Sun Tzu n’a pas pu lire le Yi Jing écrit plus tardivement que l’Art de la guerre, mais la philosophie qui a permis l’élaboration du Livre des mutations (le Taoïsme en particulier) se retrouve de facto dans l’Art de la guerre comme il devait se trouver dans l’époque ou vécut Sun Tzu. On peut supposer aussi un rapprochement « évident » en Chine entre ses deux canons pourtant si différents dans leurs buts, l’hagiographie chinoise basée sur la durée permettant ce grand écart, impensable chez nous.

    On consulte le Yi Jing à travers les trigrammes et hexagrammes que l’on tire trait par trait. Les hexagrammes sont des figures basées sur la combinaison de six traits dont chacun peut prendre l’une de ces deux formes : le trait plein (Yang) et le trait brisé (Yin). Ces deux formes elles-mêmes se subdivisent en deux catégories : trait naissant et trait mutant. À chaque hexagramme a été ajouté ultérieurement un commentaire comportant des indications sur la qualité de l’état concerné. C’est l’analyse d’une situation naissante ou « mourante » et de ces corollaires qui détermine la prise de décision, la seule constante dans le réel (la situation en analyse) est le changement, le futur lui n’étant pas écrit.

    Le ying et le yang (non pas blanc et noir mais qui tend vers le blanc ou le noir avant sa transformation qui se renouvellera ) imprègne le Yi Jing tout comme il imprègne le Sun Tzu mais de façon plus subtile dirais je (on parle de plein et de vide et de forces contraires).

    Cyrille Javary dans un de ses ouvrages précise que la première traduction du Yi Jing par le sinologue et missionnaire allemand Richard Wilhelm est truffée d’erreurs, de non sens (la notion de Dieu unique, à l’européenne, est évoquée alors qu’elle est absente dans a pensée chinoise) mais que malgré tout, la consultation avec cet ouvrage imparfait fonctionne. Tout comme fonctionne le Sun Tzu pourtant obsolète (militairement parlant) car il porte en lui un langage (moteur) universel celui du changement et d’une gestion du hasard aboutissant à une pensée qui nous permet de prendre au final une décision réfléchie.

  2. Le cinquième critère que vous recherchez ne serait-t-il pas la dimension générique de l’art de la guerre de Sun Tzu?
    c ‘est à dire de sa capacité de faire sens indépendamment du niveau de lecture, de l’intention du lecteur, de l’échelle de transposition ( armée, groupe, ou individu) de cette pensée en méthode, que celle-ci soit de réflexion ou d’action?

    Je m’étais posé la question des raisons de la démocratisation de la stratégie dans le sens d’un concept/savoir passé très rapidement ( deux siècles) du prince au citoyen, du général à l’anonyme en quête d’empowerment, de clés de développement personnel ( ex, comme conseil de lecture du Dr Melfi à Tony Soprano, si je me souviens bien).

    Le texte de Sun Tzu, qui selon moi avait commencé à émergé dans la culture contemporaine des années 1960 ( hors stratégiste, liddle hart le connaissait depuis les années 20) autant via les courants new age que via le monde de la finance, signait cette intrusion de la stratégie dans la société civile, c ‘est à dire comme mode d’organisation de la vie de tous les jours.

    La seule hypothèse que j’avais trouvé était que le texte de Sun Tzu, s’approchant ( mais n’étant pas) de l’aphorisme, autorisait une interprétation extrêmement large et donc des applications tout aussi vastes ( de la simple lecture jusqu’à des applications méthodiques de ses énoncés tactique, pris -comme vous en faites bien la critique ailleurs- comme un système global)

    c ‘est là une autre dimension particulière du livre de Sun Tzu. Il est propitiatoire, car il laisse courir l’idée ( peut-être à juste titre) que celui qui le connait devient plus fort, mieux préparé, plus à même de diriger ( une entreprise, une armée ou sa propre existence) de sortir son épingle d’un monde ou le conflit est omniprésent. L’hypothèse suivante est donc parfaitement saugrenue: est-ce la pensée de Sun Tzu fonctionne parce qu’elle parle d’abord à ceux qui se sentent faibles, vulnérables, précaires? ( et qui sont beaucoup plus nombreux.)

    C ‘est tout à fait possible. Autant qu’il s’appuie sur son ancienneté, sa brièveté, son atemporalité, et autant qu’il parle à ceux qui cherchent une méthode capable de légitimer, organiser et asseoir leur soif de pouvoir.

    Bref, Sun Tzu, c’est un peu le talmud, la bible, le coran ( excusez du peu) de la dimension guerrière, évolutionniste de l’humanité. Je vais beaucoup trop loin. désolé.

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